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Photo du rédacteurJournal La Crise

Anatomie en temps de pandémie

Par Marion Morissette


Les épaules, elles étaient censées être hautes,

Former deux petites côtes,

Elles ne devraient pas être rabaissées, découragées,

Par le fantôme d’une vie qu’on était sur le point de commencer,

Des couloirs que j’allais apprendre à naviguer les yeux fermés,

Un casier désordonné à partager,

Peut-être un peu trop de café pour ma santé,

Des petits lunchs végés pour compenser,

Artistes stylés avec qui échanger,

Activistes impliqués avec qui manifester,

Musiciens doués avec qui jammer,

Amis paumés avec qui rêver,

Des cours où l’on peut avec notre voisin d’à coté,

Chuchoter, argumenter, stresser, participer,

Des longues journées dont on rentre épuisé,

Prêt à recommencer dès le cadran sonné,

Cette vie que je peux aujourd’hui qu’imaginer,

Pleurer, désirer, selon la soirée,

Dans mon petit cahier, une fois la nuit tombée, rédiger,

Toutes ces choses que je ne voudrais pas manquer,

Mes deux petites épaules si facilement creusées,

Tentent de ne pas s'effondrer, démoralisées.


Les mains, elles devraient être sales,

Abriter autant de bactéries qu’un hôpital,

Si sales, que tu pourrais, le long des lignes de ma paume retracer,

Les périples d’une longue journée,

Quelques spécimens provenant du poteau gras de l’autobus,

D’autres de la poignée de porte du campus,

Taches de surligneurs,

Petites notes pour les rêveurs,

Quelques résidus d’une pomme collante,

Gouttes de sueur dégoûtante,

Aujourd’hui, mes mains sont vides.

Elles sont devenues deux terres arides.

Leurs histoires effacées par ce liquide trop fort,

Encore et encore et encore.

Les mains, censées être sales,

Craquent sous cette vague colossale.


La bouche, on devrait pouvoir la voir sourire,

Symbole universel de plaisir,

Dents croches, des broches, peu importe,

Elles se cachent toutes derrière ce masque que tu portes,

J’étais censé voir ton sourire,

Celui qui me fait rire,

Qui me fait rougir,

Qui ferait fondre une statue de cire,

J’étais censé voir ta mâchoire se serrer,

Lorsque tu empêches les larmes de se former,

Ta bouche former un petit rond surpris,

Lorsque je te conte tout un récit,

Se passer de bouche à bouche une tasse de café froid,

Ou du kombucha comme autrefois,

Se bombarder d’autant de postillons,

Que d'arguments et de questions,

Quand le masque tombera enfin,

Que le covid tirera à sa fin,

Nos sourires reviendront,

Pour de bon, espérons.


Les poumons, ils étaient censés être en santé,

Au lieu de patiemment brûler,

Comme une maison enflammée qu’on aurait condamnée,

Patiemment brûler, désespérément brulés,

Du manque d’air frais, d’oxygène,

De la persévérance de ces pathogènes,

Mes poumons, ils auraient il y a longtemps explosés,

Si je ne les avais pas anesthésiés,

Il était temps de céder, respirer,

L’air tiède et fade de notre réalité,

Je m’habitue, petit à petit,

À ce quotidien qui avance au ralenti,

À cette marche à pied qui nous vieillit,

Quand ce sera enfin fini,

Plus jamais je ne prendrai pour acquis,

L’air frais qui nous nourrit.


Les mollets, ils étaient censés être musclés

Pouvoir monter les escaliers sans être essoufflés,

Sans que nos masques se transforment en sac papier,

Qui finissent toujours par nous faire étouffer,

Jusqu’à ce qu’on ne puisse plus résister,

La tentation d’y sortir notre nez,

Nous étions censés nous entraîner,

Dans cet air d’automne coloré,

Celui qui fait courir un peu plus rapidement,

Tentant de fuir le vent glaçant.

Nos mollets étaient censés être assez fort,

Pour rattraper la 807 sans effort,

Ou encore ce retard,

Qui nous fait sprinter de trottoir en trottoir.

Peut-être notre force physique s’est-elle métamorphosée,

Pour venir supporter un mental trop fatigué.


Le corps, il était censé être fort,

Et il l’est, aujourd’hui encore,

Il deviendra peut-être un peu vert,

Mais il passera à travers,

Nos mains redeviendront porteuses d’histoires,

Nous reverrons ces magnifiques sourires ivoires,

Nos mollets redeviendront deux puissants compagnons,

Nos poumons ressusciteront en une inspiration,

Nos épaules se soulèveront,

Et nous continuerons.


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