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CARPE DIEM : La vraie beauté est invisible

Par Taomie Pépin


À la dérobée, je l’observai. Avec moi-même, je ris. Elle semblait souffrir, mais elle était tellement mignonne à se démener contre ses maux. Incapable de lever ses bras plus haut que ses épaules, je l’épaulais du mieux que je pouvais. Je prenais soin d’elle comme si je l’avais recueillie sur le bord du chemin mal amochée. Je me mordis les lèvres pour ne pas partir d’un rire tonitruant. Elle tentait de prendre un verre dans l’armoire de notre cuisine. Son visage tordu de douleur n’augurait rien de bon. Puis, à l’instant même où cette pensée me traversa l’esprit, elle échappa au sol ce qu’elle avait tenté d’amasser.


Plein de morceaux de verre au sol, je l’avertis :

- Ne bouge pas! Je vais aller chercher un balai, bébé.

En trois secondes, j’étais de retour en train de ramasser autour d’elle. En me penchant pour l’aider à prendre les gros morceaux, je les vis. Ses larmes de détresse.


- Oh cocotte, viens ici!

Je l’attirai vers moi et l’enlaçai. Caressant ses cheveux pour la calmer, je lui demandai :


- Mais pourquoi t’es-tu autant donnée pour ce test de burpees? Pourquoi n’es-tu pas allée plus tranquillement? Tu n’aurais pas fini dans cet état!


- Mais je n’avais pas le choix, Oli! Mon résultat compte sur ma note… Je ne veux pas faire baisser ma cote R uniquement parce que les burpees et moi, nous ne sommes pas très amis. Je travaille tellement fort pour aller en médecine et maintenant, parce que je suis meilleure à la course, je réduirais peut-être de beaucoup mes chances d’aller à McGill.


- Mais on s’en fout, non? Ils ne prennent pas uniquement en considération ton amélioration?


- Non… oui… je n’en sais rien! Je pensais ça moi aussi, mais la grille d’évaluation semblait aussi prendre en considération mes résultats de début de session… Mais ce n’est pas juste ça…


- C’est quoi, alors? lui demandai-je doucement.


- C’est que… tu sais… nos résultats, ils sont rattachés à des rangs centiles qui sont eux-mêmes reliés à une classe comme moyenne, en dessus de la moyenne et des trucs dans ce genre-là.


Avant même qu’elle le dise, je savais déjà ce qui suivait. Nous étions ensemble depuis trois ans, je connaissais toutes ses bêtes noires.


- Je… Je me suis mis la pression. J’ai tenté de me fixer un objectif pour atteindre au moins 50 dans les rangs centiles… J’ai failli paniquer avant de faire mon test… Mais je voulais tellement avoir une bonne note, et surtout, je ne voulais pas me sentir poche d’être en bas de la moyenne.


La sermonner ne servirait à rien. De toute façon, ce n’était pas ce que je voulais faire car je la comprenais. Toute cette pression, toute cette détermination à réussir, tout ce sentiment d’être mauvais dans le sport alors qu’au fond, ces classes ne devraient pas exister. Mon indignation, je ne lui dis pas. Je la conservai contre moi, je la gardai pour la rassurer. Lui dire combien c’était insensé qu’ils classifient les élèves selon leurs capacités physiques n’était pas ce dont elle avait besoin. Ainsi, je me tus, me concentrant sur elle et ses maux. Toutefois, mes pensées partirent en éclat.


La société dit se soucier de cette importance de l’apparence qui crée tant de problématiques chez les adolescents. Elle dit se préoccuper de toute cette médiatisation du corps. Elle dit s’inquiéter du manque de confiance corporelle de sa population. Pourtant, elle ne fait aucun changement concret. Des tests physiques classifiant les capacités physiques de chacun. Rappelant que certains ont une musculature plus faible que d’autres. Bon sang! Mais il s’agit de gènes, de contexte familial, de contexte personnel complexe.


Pourquoi ne pouvons-nous pas vivre sans cette impression que nous devons absolument être un athlète pour avoir des bonnes notes dans notre cours d’éducation physique?

Ma petite amie repoussa encore une fois son assiette. Depuis quelques jours, elle jouait avec sa nourriture. Je me doutais que quelque chose clochait mais elle soutenait que tout allait bien. Je lui avais laissé le bénéfice du doute. Toutefois, ce soir, j’étais vraiment inquiet. Elle n’avait presque rien mangé de la journée…


- Dis moi ce qui se passe, s’il te plait… Pourquoi ne manges-tu pas?


- Je suis grosse… Je mange trop… Je mange des trucs qui ne sont pas bons pour ma santé… J’essaie de faire attention.


- Qu’est-ce qui te fait penser ça? lui demandai-je incrédule.


- Tu n’as pas vu mon ventre, Oli? J’ai pris du poids à cause de la quarantaine et des cours en ligne qui me rendent totalement K.O. à partir de midi…


- Je me doute que ce ne soit pas juste ça, Amy…


Je lui lançai un clin d’œil espiègle sachant très bien qu’elle finirait par m’avouer ce qui la tracassait vraiment.


- C’est que pour mon cours d’éducation physique, je devais calculer mon IMC… et je suis dans la catégorie excès de poids…


Encore ce maudit cours…


Ses yeux devinrent humides, elle se mettrait à pleurer dans quelques instants. Je le savais, je la connaissais. Son corps était un sujet sensible, elle se complexait souvent. Elle se sentait laide, elle se trouvait trop grosse. Depuis la nuit des temps, c’était comme ça. Amy avait tellement peu confiance en elle… Encore une fois, je me mis à rager…


On dit qu’il ne faut pas juger les gens à cause de leur poids. On dit que l’idéal de beauté n’existe pas. On dit aussi qu’on devrait ne pas trop accorder d’importance à notre corps car on ne le contrôle pas. Il y a les gènes, le contexte familial, le contexte personnel complexe. Avec l’IMC, c’est encore pire! Il y a le poids des os, le poids du cerveau, la masse musculaire. Rien de tout cela n'est pris en compte. Ensuite, on vous colle une étiquette. On dit que vous êtes en surplus de poids. On dit que vous êtes atteint d’obésité. Mais personne ne choisit son corps, encore moins ses gènes.


Pourquoi ne pouvons-nous pas juste accepter la diversité corporelle, mais surtout l’apprécier?


Je mis encore une fois mes indignations de côté et j’allai la rassurer, lui rappelant à quel point elle était belle et que pour rien au monde, je voudrais qu’elle change.


On affirme être bien avec notre corps, mais on souhaite atteindre cet idéal. On affirme se contenter de ce qu’on a, mais on aimerait ressembler à ce garçon musclé de la publicité de vélo. On affirme qu’on sait pertinemment que ces mannequins sont modifiés par des logiciels de montage, mais on continue de vouloir leur ressembler. Cet idéal de beauté, une fille mince, avec des formes, mais pas trop. Une grosse poitrine, mais des cuisses qui ne se touchent pas. Un garçon musclé, mais pas trop. Des abdominaux dessinés, mais un gringalet. Vous en avez des critères, chère société!


Depuis que je la connais, je tente de lui donner confiance en elle. J’essaie de la convaincre qu’elle est belle autant que ce top modèle qui se pavane avec des shorts trop courts et un haut trop moulant. J’ai tenté de lui faire comprendre que rien de ce qu’elle croit beau ne l’est réellement. Elles sont fausses, anorexiques, boulimiques, mal dans leur peau. Mais elle ne me croit pas. Elle reste accrochée à ces standards de beauté.


J'haïs la voir dans cet état. Elle est tellement belle, magnifique, éclatante! Aucune de ces mannequins ne lui arrive à la cheville… Mais elle ne le voit pas…


Je pris une grande respiration. Pour calmer mes ardeurs. Pour me concentrer sur mes tests physiques. Tout ce feu en moi qui brûlait.


- Soyez prêts, nous avertit l’enseignant. On commence dans 5… 4… 3… 2… 1… C’est parti!


Toute ma colère se déferla en moi alors que je me donnai au maximum pour mon test physique. Parce que j’en avais ma claque des standards et de cette importance de l’apparence. Parce que j’aimais Amy et j’étais énervé de voir que notre société la rendait malheureuse.


Elle ne le voit pas parce que la vraie beauté est invisible.


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