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CARPE DIEM : Mes premières fois

Par Taomie Pépin



Tout excité, je déposais le téléphone. Autant je sentais l’excitation qui montait dans ma gorge alors que je m’apprêtais à dire la bonne nouvelle à mes parents, autant je sentais le poids d’une nouvelle décision peser sur mes épaules. Je venais de me faire embaucher à l’endroit de mes rêves. Là où j’étais allé porter mon CV avec le plus de détermination. Cet emploi avait le profil parfait. Pas trop loin de chez moi. Avec beaucoup d’entregent, peu de tâches ennuyeuses, peu d’attente. C’était un emploi étudiant assez motivant, qui avait un bon roulement et qui me rendrait heureux de travailler.


Mon entourage avait passé les dernières semaines à me rappeler que c’était rare qu’on puisse choisir son emploi. Sans cette pénurie de main-d’œuvre, j’aurais sûrement hérité du poste de caissier dans un dépanneur, emploi que je ne trouvais aucunement motivant. Alors que j’étais allé porter mes CV, j’entendais sans cesse des commentaires de ce genre. Plus je les entendais, plus j’avais le goût de railler.


Qu’est-ce qu’il y a de mal à vouloir trouver un emploi qui me plait? Trouver un emploi qui va me motiver. Un emploi qui ne sera pas une plaie. Alors que je vais rusher à l’école, je veux un emploi qui va me permettre de me vider la tête de tout ce stress. Qu’est-ce qu’il y a de mal à ça?


Après avoir été porté une dizaine de CV, peu d’employeurs m’avaient rappelé. Puis, plus le temps avait passé, plus je m’étais énervé. Mon père avait tenté de trouver des solutions, me conseillant des emplois qui ne m’intéressaient guère, des emplois qui seraient ennuyeux, ceux où je n’étais pas allée porter mes CV. Puis, un moment donné, j’avais cédé. Par peur de ne pas trouver un emploi. Par peur de voir les dettes s’accumuler. J’avais entrepris des démarches. Avec un des employés, nous avions commencé à regarder les dates de ma formation.

Pourtant, aujourd’hui, je venais de recevoir un appel qui me forçait la main. Cette fois, il faudrait que je fasse un choix. Choisir entre l’emploi de mes rêves et là où les démarches étaient déjà entamées. Lâcher cette dernière option était pour moi un manque de loyauté. De plus, un des amis de mon père y travaillait et il semblait mettre beaucoup d’espoirs en moi. Peut-être un peu trop… Je sentais la pression émaner de lui. J’avais peur de ne pas être à la hauteur, mais j’avais déjà dit que je travaillerais pour eux.


Tout un conflit de valeurs!


Mes amis me décrivaient comme loyal. C’était une de mes priorités. Je n’aimais pas trop le changement non plus, alors cela m’allait bien. Mon emploi étudiant, je voulais le conserver au moins jusqu’à l’été avant l’université parce que changer d’emploi tous les trois mois était très déloyal envers les employeurs. Du moins, selon moi.


J’avais dit à la responsable qui m’avait appelé que je les rappellerais… Je leur avais expliqué que j’avais plus ou moins été embauché ailleurs, mais que ce poste qu’ils m’offraient m’intéressait énormément…


Merde! C’est ben compliqué de faire un choix, rageai-je.


C’était mon premier emploi étudiant. C’était mes premiers CV. J’avais eu mes premières entrevues. J’imaginais que j’avais le droit de faire quelques erreurs. Ainsi, je pris de nouveau le téléphone et composai tranquillement.


J’humai l’odeur du petit sac que je tenais entre mes mains. J’avais passé ma semaine à travailler dans la nourriture sans me permettre d’y goûter. Les conseils de ma grand-mère avaient été justes. Parfois, il fallait suivre son cœur et prioriser son bonheur. La vie n’était pas uniquement argent et travail, mais bien une conciliation de travail, de passion et de bonheur. D’un autre côté, combiner amis et travail n’était pas toujours une bonne idée. J’avais donc rappelé Sonia, la responsable du restaurant qui souhaitait m’embaucher.


Bien que parfois stressant, j’aimais mon nouvel emploi. Il me permettait d’oublier, d’oublier le stress, mes problèmes quand j’en avais. À être tellement concentré sur les commandes qui devaient sortir, à tellement penser à la liste de choses à faire et à l’ordre de celle-ci, j’arrivais à sortir de ma tête. Certains pensaient peut-être que mon travail n’était pas de tout repos. Toutefois, la notion de repos était relative à chacun. Pour moi, le repos, c’était de pouvoir me concentrer sur autre chose que l’école, les cours en ligne, les examens, la famille, les drames.


Je ne regrettais pas mon choix. J’avais commencé au bas de l’échelle sans sentir qu’il y avait des attentes envers moi. J’avais appris à connaître de nouvelles personnes et cela s’était avéré pas mal rafraîchissant. J’avais tout appris, du mieux que je pouvais, en m’investissant personnellement, en me pratiquant à la maison. Être cuisinier nécessitait une certaine précision et je me devais d’y exceller.


Bien que tout semblait sous contrôle, les salles à manger avaient fermé pour les régions en zone rouge comme la mienne. Plusieurs de mes collègues avaient dû arrêter de travailler. J’étais un des chanceux qui avait pu rester en poste. À chaque fois que j’entrais dans la cuisine, je pensais à eux, à combien cela devait être pénible pour eux de rester chez eux à attendre que le temps passe, à rester entre les murs de leur maison.


Je me trouvais très choyé de pouvoir travailler, d’avoir été embauché à l’endroit que je souhaitais. J’y étais heureux et épanoui. J’avais trouvé ma place et je ne regrettais rien. Malgré les difficultés parcourues et toute la nouveauté.

Depuis le dernier mois, j’avais rencontré des collègues de travail. C’était une première pour moi. J’avais suivi ma première formation qui me permettait de manier le couteau comme un chef. J’avais fait mes premiers desserts, mes premières brochettes, mes premiers spaghettis, mes premières frites.


Depuis le dernier mois, j’avais punché pour la première fois. Fermé un restaurant, fait de la préparation, reçu ma première paie, envoyé mes indisponibilités. J’avais tout appris en faisant des erreurs comme un premier baiser parfaitement imparfait. Mais c’était si beau, si bon.


Depuis le dernier mois, j’avais eu mes premières fois.


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