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GNL Québec : Un projet qui n’est pas digne du 21ème siècle

Par Arthur Légaré






Si le projet Énergie Saguenay est officiellement promu par le gouvernement Legault, il n’en demeure pas moins que de nombreuses voix s’opposent à la construction de ce complexe de liquéfaction de gaz naturel. Projeté par l’entreprise GNL Québec, ce projet impliquerait la construction d’un gazoduc d’une longueur de 750 km, d’une usine de liquéfaction et d’entreposage du gaz naturel ainsi que d’installations portuaires pour permettre l’accès aux méthaniers, navires spécialement conçus pour le transport de gaz naturel liquide. Toutefois, l’exploitation d’un tel complexe de liquéfaction présenterait plusieurs menaces directes pour l’environnement. Dans les grandes lignes, voici ce qu’il faut retenir du projet Énergie Saguenay.



Un combustible fossile inoffensif, vraiment?

Le gaz naturel a beau se ranger dans la catégorie des énergies fossiles les moins polluantes sur le marché, c’est tout même une substance qui pollue significativement. À titre comparatif, une centrale de production d’électricité basée sur la combustion de charbon émet tout de même deux fois plus de CO2 qu’une centrale de même capacité de production dont l’énergie est issue du gaz naturel liquide. Même si, a priori, ce chiffre semble bas, il faut garder en tête que le charbon est un cancre en termes d’émissions de GES. Il ne faut donc pas pour autant blanchir le projet. Ici, un « moins pire » ne se traduit pas exactement par un « suffisant » : Énergie Saguenay nous éloignerait toujours plus de l’objectif de réduction des GES que Justin Trudeau nous a solennellement ratifié à l’Accord de Paris en 2015.


Avec tout ce qu’implique le projet de GNL Québec, les émissions de GES annuelles pourraient augmenter de 8,5 millions de tonnes selon des données compilées par la chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal. Cette quantité peut sembler abstraite, mais transposée en nombre de voitures, cela équivaut tout de même à quelques millions d’automobiles en plus sur nos routes!


L’origine du gaz naturel

D’emblée, une autre chose à prendre en compte dans l’évaluation de l’impact environnemental du projet de GNL Québec est que le combustible fossile concerné ne proviendrait guère du Québec; il n’y serait que transformé. En effet, une fois liquéfié, le gaz naturel est plus facile à transporter par le biais de gazoducs, sortes de conduits métalliques géants conçus pour le transport d’hydrocarbures volatiles. Avec Énergie Saguenay, on compte donc liquéfier le gaz naturel arrivant par gazoduc. Or, le Québec ne comptant pas de sites d’extraction de gaz naturel, d’où proviendrait celui qui serait transformé au Saguenay? Sa provenance serait plutôt de l’Ouest Canadien, où on fait abondamment usage de la fracturation hydraulique pour aller chercher le gaz dans le sol. Toutefois, ce procédé d’extraction est très dommageable pour l’environnement, vu qu’il engendre de nombreuses fuites. Une partie du combustible fossile est donc libérée dans l’atmosphère avant même qu’elle ne soit utilisée. Également, les déchets produits par la fracturation hydraulique contaminent les eaux et les sols environnants. Le procédé est aussi à l’origine d’importantes dégradations environnementales : nappes phréatiques, eaux souterraines et de surface, air et écosystèmes en pâtissent. Ce n’est pas pour rien que la France a interdit la fracturation hydraulique sur son territoire dès 2005.


Bref, même si la polluante extraction n’a pas lieu en territoire québécois, il faut malgré tout penser au fait que l’implantation d’une telle usine de transformation de gaz naturel ne serait certainement pas dissuasive face à l’industrie des combustibles fossiles. Et, plus globalement, dans un contexte de crise climatique majoritairement causée par, justement, la combustion d’énergies fossiles, est-ce que c’est une continuité en termes d’usage des énergies fossiles qu’il faut prôner plutôt qu’une transition?



Les séances du Bureau d’Audiences Publiques sur l’Environnement (BAPE)

Fondé en 1978 par le gouvernement Lévesque, le Bureau d’Audiences Publiques sur l’Environnement permet aux citoyens de s’exprimer sur des projets les touchant. Cet organisme gouvernemental donne une voix à ceux qui ont des inquiétudes quant aux conséquences environnementales d’un projet en particulier. Avec Énergie Saguenay, le BAPE donne la possibilité de confronter les promoteurs. Toutefois, l’actuel ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a déjà donné son aval au projet. Ce n’est dès lors plus qu’aux investisseurs qu’appartient ultimement la décision d’aller de l’avant ou pas. Le rôle décisionnel du BAPE n’en est qu’amoindri.


Un sujet épineux abordé lors des audiences du BAPE sur projet de GNL Québec est celui d’une quasi-absence de recours en cas de déversement accidentel dans les eaux du Fjord. À l’heure actuelle, ni Parcs Canada, ni Pêches et Océan Canada, ni la Garde côtière n’ont d’effectif et d’équipement aptes à la tâche. En cas de déversement, le personnel et le matériel appropriés devraient donc arriver à La Baie en partant de Québec, plus proche ville possédant de tels prérequis. Pour Émilien Pelletier, un membre du comité de coordination du parc marin du Saguenay-Saint-Laurent interviewé par le journaliste du Devoir Alexandre Shields, il est clair que la mobilisation d’équipes pour intervenir en cas d’accident sur le Fjord serait plutôt lente. L’homme estime qu’il faudrait de 12 à 24 heures pour déployer une intervention. De tels délais seraient évidemment catastrophiques pour l’écosystème du parc marin.



Les arguments en faveur d’Énergie Saguenay

En tout pour tout, GNL Québec avance le nombre de « 6000 emplois directs et indirects » créés à la période de pointe, soit pendant la construction des infrastructures du projet. Il est indéniable que le projet aurait un impact favorable sur l’économie du Saguenay. Toutefois, avec un investissement de 8 milliards de dollars, ne pas avoir d’impact économique relèverait de mauvaise volonté. En ce sens, il ne faut pas oublier que le marché des énergies vertes, en forte croissance, représente un pôle d’innovation tout aussi réaliste; en effet, ce n’est pas un secret que le Québec détient une excellente expertise dans le domaine de l’hydroélectricité et de l’éolien. Il y aurait certainement moyen d’investir davantage de capitaux et d’efforts dans des compétences que nous savons nôtres, d’autant plus qu’on parle ici en grande partie de l’argent des contribuables. Qui plus est, dans un contexte de crise climatique, les investissement en énergies vertes sont infiniment plus viables à long terme.


L’entreprise GNL Québec laisse aussi entendre qu’elle contribuerait à réduire de 28 millions de tonnes les émissions de GES annuelles mondiales grâce à l’exportation de cet hydrocarbure moins polluant que le charbon ou le pétrole. Étrange, non? C’est que l’entreprise compte réduire les émissions liées à la combustion d’énergies fossiles… en exportant d’autres énergies fossiles moins polluantes. C’est donc par une habile substitution qu’on base nos calculs, mais, agir de la sorte, c’est oublier qu’encourager l’industrie des hydrocarbures n’est pas viable à long terme. À court terme, du moins, cette réduction des GES est intéressante, mais n’oublions pas que les infrastructures construites aujourd’hui seront encore celles que nous aurons dans quelques décennies. La carboneutralité n’est donc pas pour tout de suite si des projets comme celui de GNL Québec vont de l’avant. Enfin, les calculs de GNL Québec ne prennent pas en compte toute la pollution engendrée par l’extraction et le transport de l’hydrocarbure. Or, omettre cet aspect, c’est refuser de confronter les différentes implications environnementales les plus élémentaires qui soient. C’est refuser de prendre ses responsabilités en tant qu’entreprise du 21ème siècle.


Il existe un consensus scientifique à l’effet que l’humanité a besoin d’une transition vers d’autres sources d’énergies à plus faibles empreintes écologiques. L’argument des emplois créés n’est certes pas exclusif à Énergie Saguenay, car un investissement dans les énergies vertes est également un potentiel générateur d’emplois bien rémunérés. D’un point de vue économique, il n’existe aucune contrainte à ce que l’argent aille absolument dans cette industrie pour stimuler l’économie. Ce faisant, plutôt que de miser sur une source d’énergie sale et archaïque comme le gaz naturel liquéfié, ne faudrait-il pas concentrer nos énergies ailleurs, là où cela rapportera le plus dans le futur?



Impact sur l’écosystème marin

Le Fjord du Saguenay est reconnu pour héberger de nombreuses espèces menacées comme le béluga. L’écosystème marin y est riche et diversifié, mais fragile. Le passage effréné de grands navires nuit déjà la faune aquatique. Cependant, avec la réalisation du projet de GNL Québec, le Fjord deviendrait une véritable autoroute à méthaniers : le trafic maritime du Saguenay devrait augmenter considérablement d’ici 2030. Concrètement, selon un avis scientifique émis par des chercheurs de Pêche et Océans Canada, le nombre de passages dans le Fjord devrait passer de 450 à 1300 passages par année d’ici 2030. Et puis, les dimensions d’un méthanier ne sont pas banales. On parlerait ici de 300 mètres de longueur par 50 mètres de largeur. Pour ce qui est des bélugas, le bruit causé par le passage des navires serait destructeur pour l’espèce. Son habitat naturel lui deviendrait dangereux, puisque le béluga use abondamment de communications sonores. Le vacarme marin causé par le passage de méthaniers mettrait en péril cette espèce en voie de disparition dont il resterait moins de 900 individus.


Le Fjord est un véritable joyau naturel duquel il faut assurer la protection. GNL Québec n’a jusqu’ici apporté aucune proposition digne de ce nom tenant compte de cette réalité, d’où une remise en question très légitime du projet dans son intégralité. Qu’à cela ne tienne à ceux qui en minimisent son importance, la biodiversité est encore importante pour l’Homo sapiens. L’humain de nos jours, aussi détaché se considère-t-il par rapport à l’environnement, serait inéluctablement celui qui en pâtirait le plus si la tour d’ivoire du haut de laquelle il domine le monde du vivant en venait à tomber. Le rapport hégémonial qu’il entretient avec les autres espèces tend à lui faire oublier qu’il est tributaire de l’existence de ces derniers comme de la sienne, lui qui les exploite pour subvenir à ses besoins.




MÉDIAGRAPHIE

Image du Fjord, libre de droits :



RÉFÉRENCES

Article du journaliste Alexandre Shields sur les incertitudes liées au conséquences environnementales d’Énergie Saguenay


Autre article de Shields sur la quasi-absence de préparation en cas de déversement de GNL :


Calculs d’experts du gouvernement fédéral portant sur l’augmentation du trafic maritime advenant la réalisation du projet de GNL Québec :


Article sur le gaz naturel liquéfié :


Étude de la fondation David Suzuki sur la pertinence du gaz naturel comme source d’énergie :


Publication d’intérêt pour l’impact du GNL en termes de GES :


Aspects étudiés par le BAPE à propos d’Énergie Saguenay :


Lettre ouverte d’économistes sur le projet Énergie Saguenay :


Site officiel de GNL Québec


Bref portrait de la population de bélugas dans le parc marin du Saguenay :


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