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CARPE DIEM : Ma petite faille

Par Taomie Pépin



- Qu’est-ce qui te tracasse, Ana?


Ce qui me tracasse? Vous voulez dire ce qui me fait peur, ce qui me fige, ce qui m’effraie.


- C’est compliqué… lui répondis-je.


- Ce qui est difficile à confier est souvent le plus bénéfique pour les patients.

Mes yeux rejoignirent mes pieds. Mes mains jointes se battaient pour prendre une décision. Inspiration difficile, lourde, étouffante. Expiration lente, énervée, décisive.


- Vous savez quand nous n’étions qu’à nos débuts, je ne voulais rien savoir du futur. Je me contentais du présent. De ce que je ressentais pour lui, avec lui, ensemble. Ce qui importait n’était pas la distance que nous parcourions ensemble, mais bien l’authenticité de chaque instant. Une semaine à l’avance, c’était beaucoup trop. Et s’il me laissait? Et s’il n’était pas le bon pour moi? Et si nous avions eu tort sur toute la ligne? J’étais bien. Attendez, j’ai dit bien? J’allais merveilleusement bien. Mais dès que nous abordions ce qui se passerait dans un mois, dans 2 mois, dans un an, je me figeais. J’avais peur. Terriblement peur. Et si je finissais le cœur brisé. Et si je me faisais des attentes. Et s’il me décevait.


« Pourtant, avec le temps, j’ai appris, je me suis laissée prendre au jeu, mon cœur a faibli. Puis, j’avais encore peur, peur d’être blessée, qu’il se lasse de moi. Mais il avait réussi à se faufiler dans mon cœur, tranquillement, agréablement, dangereusement. Nous planifions une semaine à l’avance, un mois à l’avance, une saison à l’avance. Au pied du mur, j’ai dû me livrer à lui. Pleinement, complètement, sincèrement. On a parlé de lui, de moi, de ce qu’il pensait, de mes problèmes à me projeter.


Je clignai les yeux, savourant les souvenirs, la nostalgie, cette douceur. Cette nuit-là, nous avions parlé du futur. Pour la première fois, nous avions parlé de ce que nous pensions de notre relation. Si elle était faite pour durer ou non. Il m’avait dit qu’il n’aimait pas facilement. Qu’il n’ouvrait que rarement son cœur. J’étais de celles qui tombaient en amour avec l’amour. De celles qui avaient aimé en silence. De celles qui avaient cru à de pures âneries. Juste avant lui, j’avais cessé de croire, mais surtout d’espérer. Un jour, la bonne personne se pointerait, mais j’avais pris la sage décision de vivre alors qu’il faisait son chemin jusqu’à moi et moi jusqu’à lui. Il était arrivé alors que je m’y attendais le moins. Nous avions douté, nous avions eu peur ensemble, nous avions pensé, nous avions envisagé ensemble.

Je clignai de nouveau les yeux, respirant la tendresse de la nostalgie. Des débuts compliqués, c’était peu dire. Je conservai cette histoire pour une autre fois. Quand le moment serait importun ou lorsque je parlerais à quelqu’un d’autre que ma psychologue. Il fallait que j’en vienne aux faits, au vif du sujet, du problème. Même si je m’étais laissée porter au gré des souvenirs, j’avais continué à raconter mon histoire à mon interlocutrice.


Ce soir-là, nous nous étions donnés l’un à l’autre. Nous nous étions promis de nous aimer mutuellement. Pour l’instant que nous avions ensemble, pour notre infini, pour notre éternité. À partir de cette nuit-là, je lui avais donné mon cœur entier. Une confiance aveugle. Il avait tout de moi, mes sentiments, mes peurs, mes joies. Nous croyions en notre amour, en la possibilité d’aller loin, d’avoir un avenir. Puis, cette discussion me remplit de bonheur, de sérénité, d’amour. Rassurée de voir que nous étions déterminés à vivre ensemble le plus longtemps qu’il nous serait donné de vivre.


- Vous avez une bonne communication. C’est un élément crucial pour une bonne relation de couple. Alors quel est le problème Ana?


Le problème? Était-ce moi? J’avais l’impression que oui. Qu’il n’y avait que moi. Du moins, c’était ce que mon cerveau – ou lui – avait réussi à me faire croire. Je clignai les yeux. J’eus l’impression que des larmes ruisselaient sur mes joues, comme toutes ces nuits où nous nous étions endormis fâchés. Comme toutes ces fois où les mots semblaient nous faire que davantage mal.


- Ces temps-ci, nous nous chicanons énormément. Les temps sont durs. Le confinement, les questions, les examens, lui énumérai-je. Puis, cela m’épuise, m’exténue. Les reproches me font mal. Il dit que je ne change pas assez, mais je fais mon possible pour m’améliorer. Je pleure. Souvent. Je suis perdue, je ne peux rien y faire. Qui ne l’est pas en ces temps historiques? Il y a des tonnes de choses que je voudrais lui dire. Des reproches, parfois. Mais je n’y crois même pas moi-même. J’ai l’impression qu’il croit que tout est de ma faute. Puis, je commence à penser de même. Je me mets à douter de ces choses que j’aimerais qu’il change.


Et s’il avait raison?


- Dès que je me trouve devant lui pour lui demander de changer telle ou telle chose, je perds tous mes moyens. Et s’il avait raison? Et si c’était uniquement de ma faute? Je sais que je ne devrais pas penser comme ça. Que moi aussi, je peux lui demander de s’améliorer.


- Pourquoi tu ne le fais pas?


- Parce qu’il mérite peut-être mieux que moi. Il est tellement persuasif en plus! Peut-être que je ne suis pas la bonne pour lui. Peut-être que je ne le rends pas heureux. Et s’il restait avec moi pour ne pas me faire de la peine ou par pitié? Et si nous restions ensemble uniquement à cause de toutes ces promesses. Parce que nous planifions d’aller en appartement ensemble pour l’université, parce que nous avions commencé à parler de la vie d’adulte, d’avoir des enfants. Pas maintenant, quand même! Mais lorsque nous aurons 30 ans.


À 25 ans! l’entendis-je m’obstiner. Je souris pour moi-même, à toutes ces fois où nous avions tenté de faire valoir notre point.


- Qu’adviendrait-il si tu lui disais ce que tu as sur le cœur parfois?


Je clignai de nouveau les yeux, il pourrait décider de ne plus m’aimer. Il pourrait être blessé, il pourrait décider de mettre un terme à notre relation. Je pourrais le perdre, lui faire de la peine, l’éloigner de moi. Je sentis l’anxiété monter en moi. Des pleurs aussi. Une respiration haletante. Comme toutes ces fois où j’ai eu peur de le perdre.

- Et s’il me laissait? Et s’il ne m’aimait plus?


- Si c’est le cas, c’est qu’il n’était pas fait pour toi. Mais saches, Ana, que les hommes viennent de Mars et les femmes, de Vénus. Une approche plus rationnelle de sa part ne démontre pas qu’il est insensible. Montre-lui le chemin. Pour qu’il te comprenne, pour qu’il voie à partir de tes yeux. Si tu lui expliques clairement comment tu te sens, il sera plus apte à comprendre le pourquoi du comment qui est parfois essentiel pour la gente masculine. Tu peux aussi lui dire clairement ce dont tu as besoin. Comme ça, il laissera de côté sa tendance à toujours trouver des solutions pour compléter la tâche que tu lui as demandé.


- J’essaierai… lui dis-je légèrement réticente, sans vouloir élaborer.


- Je te le dis, je parle par expérience, me répondit-elle confiante avec un petit clin d’œil. Moi aussi, j’ai eu ma petite faille, cet homme qui avait chamboulé mon univers.

Mes peurs étaient nombreuses. Ce rêve de nous deux. Ce rêve d’un mariage. D’un mariage où je portais une robe immaculée. Et lui un complet noir. Mais surtout, c’était lui, ses yeux verts, son teint pâle, que j’avais vu. Personne d’autre que lui. Nous partagions tout ensemble. Ses vêtements, notre espace, nos sentiments. Il n’y avait plus de secret entre nous. Je lui faisais complètement confiance. Il aurait pu me diriger dans un tunnel obscur et j’y serais allée, car peu importe où j’allais, je savais que je pouvais compter sur lui.


Je le regardais parfois et j’embrassais tout de lui. Ses qualités, ses forces et ses défauts. Ce que tout le monde détestait, je l’appréciais. Même si nous étions parfois à l’opposé l’un et l’autre, je savais que jusqu’à la plus petite parcelle de mon âme, je l’aimais. Avec tout mon cœur, avec tout mon être, je l’aimais. Pour le temps de notre éternité, je l’aimais. Noir et blanc. Soleil et Lune. Chien et chat. Mars et Vénus. Ma psy n’avait peut-être pas tort. Peu importe la planète d’où nous venions, il était ma petite faille.


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